Comme chacun le sait, le Québec se démarque notamment des autres provinces par sa Charte des droits et libertés, laquelle comprend le droit au respect de la vie privée. Ailleurs au Canada, ce droit dépend plutôt de la jurisprudence. Or, jusqu’à maintenant, la common law hésite à reconnaître le droit à la vie privée comme motif suffisant (en soi) de poursuivre un tiers.
Une affaire ontarienne récente vient un peu corriger le tir, alors qu’un juge ordonnait à un individu de dédommager une autre personne à cause de sa publication d’éléments embarrassants (et privés) liés à la victime. Juridiquement, c’est une nouveauté dans le paysage canadien, parce qu’on impute directement ici la responsabilité d’un défendeur à cause de sa publication d’images intimes d’autrui.
On voit ici un exemple de plus de la volonté grandissante des tribunaux canadiens d’imputer une responsabilité à ceux qui portent atteinte à la vie privée d’autrui. Par exemple, l’affaire Jones c. Tsige de 2011 avait ni plus ni moins créé un délit d’intrusion dans l’intimité d’autrui, dans une affaire d’accès au dossier bancaire d’un ex-conjoint.
En se basant notamment sur la décision Jones, la Cour supérieure de justice de l’Ontario rendait donc sa décision récente dans Doe 464533 c. N.D., en concluant qu’on peut poursuivre une personne qui publie sans notre permission des faits embarrassants, par exemple une vidéo intime. Pour ce faire, le tribunal concocte un nouveau délit (tort, en anglais), afin de faire en sorte que des conséquences juridiques puissent s’attacher au fait de mettre en ligne (par exemple) quelque chose de privé qu’on sait sur autrui, particulièrement quand cela est susceptible d’humilier ou d’autrement affecter négativement la victime. Bien que cela puisse paraître évident, rien dans la common law canadienne ne le permettait jusqu’à maintenant.
Cette décision balise d’ailleurs le nouveau délit en question en en limitant son application au cas où ce qui est publié s’avère très offensant (pour une personne raisonnable), sans pour autant présenter d’intérêt légitime pour le public, comme le serait, par exemple, un véritable article de nouvelle sur un sujet d’intérêt public.
On notera au passage que l’affaire s’avérait particulièrement tentante pour innover (et ainsi éviter le vide juridique), quand on sait que le défendeur a persuadé la demanderesse de lui envoyer une vidéo sexuellement explicite d’elle-même, en lui promettant de ne pas la diffuser. D’ailleurs, une fois la procédure intentée, ce défendeur a choisi de ne pas se défendre… ce qui a mené à un jugement par défaut contre lui. Le jugement accorde une indemnité de 100 000 $, en plus d’accorder à la demanderesse le droit à ses frais et honoraires extrajudiciaires.
La common law canadienne reconnaît donc dorénavant non seulement l’intrusion dans la vie privée d’autrui, mais aussi la divulgation des détails de la vie privée d’autrui comme base de recours.