La Cour fédérale rendait récemment un jugement fort inhabituel, dans l’affaire A.T. v. Globe24h.com, 2017 FC 114, à l’encontre d’une société étrangère (contrôlée par un Canadien) exploitant un site Web diffusant des copies de décisions judiciaires canadiennes.
Le jugement dont il est ici question illustre bien le malaise que ressent notre société face à l’idée de diffuser trop largement le texte des jugements canadiens sur Internet. La démocratie requiert que les décisions judiciaires soient disponibles publiquement, ce qui ne veut pas dire que notre société ait nécessairement intérêt à ce que ces décisions soient trop largement (et facilement) diffusées et publiées.
L’affaire en question implique un site européen (roumain) (www.Globe24h.com) qui republiait les textes de jugements canadiens, y compris d’une façon qui permettait ensuite aux moteurs de recherche (par exemple Google) d’en indexer le contenu. La conclusion de la décision de la Cour fédérale est d’ordonner à l’exploitante de retirer de son site Web le texte des décisions canadiennes parce que leur mise en ligne viole la loi canadienne en matière de renseignements personnels.
On pourrait penser qu’une fois des faits publiés dans une décision judiciaire, ceux-ci cessent pratiquement d’être protégés par la législation en matière de renseignements personnels. Eh bien! Non, de confirmer la Cour fédérale. Un renseignement au sujet d’un individu n’en demeure pas moins personnel parce qu’on l’a inclus dans le texte d’un jugement à l’issue (ou dans le cadre) d’un litige. Cela étant, un site Web qui reproduit et publie un jugement qui contient des renseignements personnels (sans consentement des individus visés) s’expose à des répercussions en vertu de la Loi canadienne sur les renseignements personnels dans le secteur privé (PIPEDA, selon son acronyme en anglais).
Bien que d’autres sites (notamment CanLII.org) reproduisent aussi des décisions et les mettent en ligne, ces éditeurs se conforment cependant généralement à la pratique entendue de la communauté juridique canadienne, en évitant l’indexation des décisions par des moteurs de recherche. Dans le cas de www.Globe24h.com, il semble que c’est là que le bât blessait particulièrement. Pour une cinquantaine de plaignants canadiens, une telle pratique s’avérait inacceptable, puisqu’elle résultait dans la super-publication (à la face du monde) d’un grand nombre de faits pouvant s’avérer très personnels relativement aux individus impliqués (parfois malgré eux) dans des litiges judiciarisés.
Précisons à ce sujet que l’élément particulièrement problématique ici était la pratique (disons) douteuse du site d’exiger des frais pour retirer les résultats que des individus jugeaient violer leur droit à la vie privée parce que reproduisant leurs renseignements personnels. On comprendra que dans de telles circonstances, le tribunal a allègrement rejeté l’argument de l’exploitante du site voulant qu’elle publiait ces décisions à des fins d’information légitime quant à des questions d’intérêt pour le public. Qui plus est, www.Globe24h.com générait aussi des profits publicitaires liés aux visiteurs de son site, lequel tablait largement sur l’intérêt des Canadiens pour les renseignements ainsi divulgués. La Cour le confirme: rien de ceci ne correspond à des utilisations acceptables, à moins d’avoir le consentement des individus visés.
Le tribunal en vient d’ailleurs à la conclusion que l’exploitante avait vraisemblablement sciemment créé un modèle d’affaires qui lui permettrait de générer des profits grâce aux renseignements personnels sur lesquels elle pouvait mettre le grappin par Internet.
La Cour fédérale confirme au passage qu’elle peut s’arroger compétence quant à une violation de la PIPEDA même contre une société étrangère lorsque suffisamment de facteurs rattachent l’affaire au Canada. Ici, par exemple, l’auditoire, la source de l’information et l’impact des activités du site étaient tous au Canada, justifiant ainsi l’intervention d’un tribunal canadien.
L’exploitante du site http://www.Globe24h.com en prend donc pour son rhume avec cette décision. Fait étonnant, ce jugement de la Cour fédérale mène non seulement à une injonction, mais aussi à l’octroi de dommages-intérêts (5 000$), ce qui ne fait pas partie des résultats auxquels on peut normalement s’attendre quand une trame de faits implique cette loi.
Contrairement à ce qu’on entend souvent, la LPRPDE n’est donc pas totalement dénuée de dents et peut être utilisée même contre une société étrangère. Oui, c’est dans le domaine du possible!