Une journaliste me questionnait récemment sur une affaire de «revenge porn» (pornographie vengeresse), en me demandant où en était notre droit à ce sujet. Ma curiosité piquée, je me suis donc penché un peu sur la question et, au passage, j’ai consigné mes réponses dans un billet que je partage avec vous aujourd’hui.
Le droit canadien comprend de plus en plus de dispositions législatives visant à prohiber la communication non autorisée d’images intimes à des tiers. Le législateur tente ainsi d’endiguer un problème de société de l’ère de l’Internet, alors que la publication d’une image saisie sur le vif (même dans un contexte intime) peut se faire en un instant, en un simple clic. Devant cette facilité du geste, plusieurs juridictions commencent à prévoir dans leur droit une interdiction de ce faire, à moins d’avoir le consentement de la personne visée.
On commence d’ailleurs à voir des cas fondés sur ce genre de trame de faits devant les tribunaux, comme l’affaire ontarienne récente de R. c. Zhou (2016, ONCJ 547), dans laquelle un homme a été reconnu coupable de harcèlement contre une femme dont il avait publié des images intimes sur des sites pornographiques. Les images ainsi téléchargées montraient clairement le visage de la victime, alors que l’accusé avait pris soin de dissimuler sa propre identité au moment de la mise en ligne des images. Les images seraient alors demeurées plus de deux ans en ligne, causant ainsi des problèmes divers à la victime, notamment psychologiques. L’accusé aurait d’ailleurs continué à surveiller les statistiques de visionnement et les commentaires d’usagers liés à ces photos pendant plus d’un an, adoptant ainsi un comportement qui dépassait de loin le simple écart de conduite momentané. Devant cette trame de faits, le juge condamne l’accusé à une peine additionnelle de douze mois.
Le fédéral s’est d’ailleurs maintenant doté d’un article précis du Code criminel (l’art. 162.1) qui prohibe désormais ce genre de comportement. Si on n’a pas le consentement de la personne figurant dans une image intime, le fait de partager l’image avec autrui, de quelque façon, nous expose désormais à des accusations pénales. Certaines décisions mentionnant l’emploi de cet article commencent à faire surface, dont celle de R. c. P.S.D. (2016 BCPC 400), laquelle mentionne un accusé ayant plaidé coupable à une accusation en vertu de l’art. 162.1 du Code criminel.
Les provinces surenchérissent d’ailleurs pour tenter d’endiguer le problème en adoptant leurs propres lois à ce sujet. Par exemple, le Manitoba se munissait l’an dernier d’une loi nommée The Intimate Image Protection Act, laquelle confère un droit exprès aux victimes de ce genre d’affaires de poursuivre les responsables au civil. Cela dit, les tribunaux semblent considérer que plusieurs des lois de ce type s’avèrent inconstitutionnelles et, donc invalides. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé lorsque la loi de Nouvelle-Écosse est arrivée devant les tribunaux l’an dernier.
Toujours au civil, on voit aussi poindre un motif de recours en responsabilité civile qui, lui, ne dépend pas d’une loi précise, mais plutôt du droit commun. Les décisions ontariennes de Jones c. Tsige, 2012 ONCA 32 et Doe 464533 c. N.D., 2016 ONSC 54, dans lesquelles les tribunaux ont conclu à la responsabilité de la personne qui publie à tort des faits ou des images de nature privée. Dans l’affaire Doe 464533, d’ailleurs, le tribunal octroie des dommages-intérêts de plus de 75 000$ à la demanderesse. Même si ce jugement précis a été ensuite écarté par un tribunal (suite à une requête du défendeur), on comprend que l’ampleur d’un tel octroi de dommages a de quoi signaler aux Canadiens que ce genre de comportement n’est plus acceptable.
Le paysage juridique canadien se peuple donc de plus en plus de règles et de mécanismes visant à combler le vide qui existait jusqu’à maintenant dans les affaires de publication d’images intimes et de pornographie vengeresse, notamment.