La Cour supérieure rendait récemment une décision qui vient clarifier dans quelle mesure un tiers peut reproduire par Internet des portions d’articles de journaux (de façon non autorisée).
La décision en question est celle de Cedrom-SNI inc. c. Dose Pro inc., 2017 QCCS 3383, opposant trois quotidiens québécois (notamment La Presse et Le Devoir) à la société Dose Pro inc. dont le site Web Ladose.ca offre un service de veille médiatique permettant aux usagers de recevoir des courriels affichant les titres et des extraits d’articles de nouvelles issus de certains quotidiens québécois.
« De façon générale, La Dose Pro reproduit le titre de l’article, l’identité du journal ou du média qui l’a publié, ainsi que la date et l’heure de publication. Sous le titre, on retrouve un paragraphe que certains témoins désignent par le terme anglais « lead », soit l’amorce de l’article. L’envoi contient également pour chaque titre et amorce, un lien électronique qui permet au récipiendaire, s’il le désire, d’aller vers l’article complet sur le site du journal »
La question qui se pose devant le tribunal ici : la reproduction d’un paragraphe de chaque article dans les courriels ou le site Web de Dose Pro viole-t-elle les droits d’auteur des quotidiens visés ? Si oui, ce comportement se qualifie-t-il d’usage équitable ?
Comme chacun le sait, la loi ne protège pas chaque « infime partie » d’une œuvre ; il faut que l’emprunt porte sur plus que cela pour que le droit y voie un problème. Cela dit, en évaluant s’il y a eu reproduction d’une « partie importante » d’une œuvre, ce n’est pas la quantité de la reproduction qu’il faut analyser, mais le degré qualitatif de reproduction. Un guide utile à ce sujet (et cité par la jurisprudence) est qu’une partie importante l’est souvent parce qu’elle incarne « une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre ».
C’est dans ce contexte que le tribunal examine, dans la décision Cedrom-SNI, l’importance relative du titre et du premier paragraphe de chaque article. Pour lui, au final, on est bien en présence ici d’une reproduction d’une partie importante des articles de journaux visés. Oui, le titre et le paragraphe d’amorce d’un article équivalent en droit à ce qu’on peut appeler une partie importante, aux fins d’une analyse de droits d’auteur. Leur reproduction non autorisée sera donc généralement une contrefaçon de droits d’auteur.
Fait intéressant ici aussi, notons que le titre s’avère pertinent dans l’équation parce qu’il fait partie de ce qui compose l’œuvre qu’est chaque article. Ici, c’est donc la combinaison de la reproduction du titre et d’un paragraphe clé qui se solde par un usage substantiel.
Au passage, le tribunal conclut que cette forme de reproduction ne se qualifie pas d’utilisation équitable aux fins « de compte-rendu » ni de « communication de nouvelles », notamment parce que la fin réelle poursuivie par La Dose peut être vue comme de dégager des profits, plutôt que les fins permises par la Loi sur le droit d’auteur. À ce sujet, il faut comprendre que La Dose vend des abonnements et de la publicité sur son site Web, lequel ne fait rien d’autre que de repiquer les titres et leads de journaux. En effet, pour le tribunal, le fait que les quotidiens visés ne dérivent aucun revenu de cette utilisation parasitaire (alors que La Dose, si) semble incompatible avec une qualification de cet usage des œuvres en question comme étant « équitable ».
Compte tenu de ce qui précède, le tribunal accorde donc l’injonction interlocutoire demandée, interdisant pour l’instant à La Dose d’inclure des titres et paragraphes entiers d’articles rédigés par les employés de La Presse, Le Devoir et Le Soleil.
Depuis, le site ladose.ca semble avoir été mis hors ligne. Dommage, en un sens, parce que cette affaire pourrait faire un excellent cas de jurisprudence si elle était jamais plaidée au fond, ce qui semble peu susceptible de se produire à en juger par cette tournure des événements.