La Cour supérieure rendait il y a quelques jours de cela, sous la plume de la juge Élise Poisson, une décision étoffée en matière de droit d’auteur et de logiciels, dans l’affaire Édition Québec Amérique c. Druide Informatique inc.
Cette affaire oppose l’éditeur du logiciel de correction québécois bien connu ANTIDOTE® à l’éditeur du dictionnaire thématique LE VISUEL. Au final, la décision de la Cour supérieure à ce sujet conclut à la violation par Druide informatique inc. (« Druide ») des droits d’auteur d’Édition Québec Amérique (« QA »), suite à l’intégration dans le logiciel ANTIDOTE de certaines œuvres créées à l’origine par QA.
Malgré ce qu’on pourrait penser, Druide et QA ont collaboré à plusieurs égards au cours des vingt dernières années dans le marché des outils de révision et de correction. Comme leurs logiciels s’avèrent complémentaires, Druide et QA avaient tout à gagner en s’associant dans le marché pour de faire connaître le produit de l’autre à leurs usagers respectifs. Ainsi, au fil des années, Druide et QA rapprochent graduellement leurs produits, en développant de concert des raccourcis, des interfaces et des ponts informatiques, allant même jusqu’à ce que QA permette à Druide d’imbriquer certains éléments tirés de LE VISUEL directement dans des modules accessoires du produit ANTIDOTE. Le rapprochement des logiciels ANTIDOTE et LE VISUEL INTÉGRÉ permet ainsi aux deux sociétés d’effectuer une promotion croisée de leurs produits, ce qu’ils font pendant plusieurs années.
Ce rapprochement des produits logiciels des deux entreprises se poursuit en 2004, alors que QA transmet certains fichiers contenant des index de termes (tirés de son produit LE VISUEL) à Druide pour faciliter l’intégration des logiciels. Les parties discutent alors d’une entente pour formaliser leur collaboration à ce sujet, mais ne parviennent pas à conclure de contrat signé. En pratique, elles partagent simplement en parts égales les revenus des ventes du logiciel LE VISUEL MULTIMÉDIA générées à partir du logiciel ANTIDOTE. Par la suite (de 2005 à 2009), les parties continuent à intégrer de plus en plus de fonctionnalités du produit LE VISUEL directement dans ANTIDOTE et dans son interface. La version d’ANTIDOTE lancée en 2009 comporte d’ailleurs un module optionnel nommé LE VISUEL INTÉGRÉ, à savoir une composante logicielle qui incorpore directement dans le produit de Druide certaines illustrations du VISUEL ainsi que des termes et des prononciations qui en sont tirés. Cette intégration se fait de concert avec QA, mais les pourparlers traînent et les parties tardent à conclure une entente relative à leur collaboration et à l’intégration des deux produits. La relation entre les parties se détériore au cours des deux années suivantes, jusqu’au moment où Druide avise QA de son intention de mettre un terme à ce projet commun.
La collaboration entre QA et Druide prend ainsi fin en 2011. Druide choisit alors de continuer à offrir et à intégrer ses modules LE VISUEL NANO et LE VISUEL INTÉGRÉ dans le logiciel ANTIDOTE. QA s’oppose à cet état de fait, notamment parce que ces modules reproduisent ni plus ni moins que le contenu tiré des produits LE VISUEL, dont QA possède les droits. Les négociations des parties pour gérer la rupture de la relation d’affaires échouent finalement en 2012, alors que QA intente un recours.
La question qui se pose maintenant est de savoir si l’inclusion continue des deux modules visés constitue une violation des droits d’auteur de QA par Druide. QA prétend que malgré son consentement pendant la période de collaboration, Druide n’a aucun droit de continuer à reproduire sa propriété intellectuelle. À l’inverse, Druide, elle, prétend au contraire avoir obtenu de QA une licence implicite issue du comportement des parties.
Sans grande surprise, le tribunal n’a aucune difficulté à conclure à la protection des illustrations originales tirées du produit LE VISUEL, ni des illustrations, des termes, des définitions et des prononciations tirées du produit LE VISUEL MULTIMÉDIA de QA. Pas de doute : le régime des droits d’auteurs s’y applique. Par ailleurs, le fait d’avoir imbriqué ces œuvres dans les produits de Druide LE VISUEL NANO et le LE VISUEL INTÉGRÉ résulte en des reproductions, des adaptations, des représentations, des télécommunications et des traductions, gestes que réservent évidemment la Loi sur le droit d’auteur aux détenteurs des droits. Ce faisant, la question devient de savoir si on peut justifier l’usage de ces œuvres qu’a fait Druide ici, par exemple parce qu’elle aurait été détentrice d’une licence ou d’une autorisation.
Pour écarter sa responsabilité, Druide allègue disposer d’une licence implicite irrévocable, non exclusive, exempte de royautés, à durée illimitée de poser tous les gestes reprochés quant aux œuvres de QA intégrés par elle au logiciel ANTIDOTE. Malheureusement pour elle, le tribunal écarte rapidement sa prétention voulant que ce soit QA qui aurait le fardeau de démontrer que Druide ne possédait pas d’autorisation d’inclure les œuvres visées dans ses propres produits. La Cour fédérale l’a confirmé : une défenderesse qui allègue avoir eu une autorisation implicite (de reproduire une œuvre, etc.) a le fardeau d’en démontrer l’existence. C’est donc Druide qui doit le prouver, si QA l’avait bien autorisée (explicitement ou implicitement) à poser les gestes reprochés ici, preuve qu’elle n’est pas parvenue à établir à la satisfaction du tribunal ici.
Cela dit, la preuve au dossier démontre néanmoins clairement que les gestes posés par Druide l’ont été à l’origine avec le consentement de QA, dans le cadre d’une collaboration. L’inclusion des œuvres visées dans les versions d’ANTIDOTE d’avant 2012 (dont « ANTIDOTE HD » lancé en 2009) ne peut donc être reprochée à Druide. Par contre, leur inclusion dans les versions d’ANTIDOTE de 2012 et 2015 (dont « ANTIDOTE 8 » et « ANTIDOTE 9 »), elle, est bien génératrice de responsabilité pour Druide, puisque non autorisée par QA.
Dans ces circonstances, le tribunal estime que l’injonction demandée par QA n’est pas le recours approprié quant aux produits logiciels « ANTIDOTE 8 » et « ANTIDOTE 9 », y préférant plutôt l’octroi de dommages-intérêts. Le tribunal ordonne néanmoins bien à Druide de cesser d’utiliser les œuvres de QA dans toute version subséquente d’ANTIDOTE.
Malgré la réclamation de QA de 875 000 $ en dommages divers, le tribunal s’en tiendra à un montant de 100 000 $, montant qui selon lui s’avère une compensation adéquate pour l’inclusion des œuvres dans « ANTIDOTE 8 » et « ANTIDOTE 9 ».
En prime, le tribunal conclut au passage que QA a aussi droit à des dommages moraux exemplaires de 25 000 $. Bien que la position adoptée par Druide ne soit pas dénuée de fondement et qu’on ne soit pas généralement ici en présence de gestes délibérés empreints de mauvaise foi, le tribunal conclut néanmoins que des dommages punitifs s’imposent à cause de certains gestes précis posés par QA.
À noter que la question de la restitution des profits (QA demande 10% des profits générés par Druide par les dernières versions d’ANTIDOTE) sera traitée séparément ultérieurement, suite à une décision procédurale de scinder l’instance. Druide pourrait donc bien, finalement, devoir débourser encore davantage pour mettre un terme à cette affaire de contrefaçon.
Leçon à tirer de cette histoire : promouvoir le produit d’un partenaire d’affaires est une chose; carrément imbriquer sa propriété intellectuelle dans son propre produit logiciel en est une autre. Gare à celui qui le fait sans s’être muni d’un contrat écrit fixant les modalités de cette utilisation de l’œuvre d’autrui.