L’exploitation d’entreprises sur le Web continue de causer des maux de tête aux juristes qui s’intéressent aux marques de commerce. Nos tribunaux continuent en effet de tergiverser quant à savoir dans quelle mesure une entreprise étrangère peut être considérée comme « utilisant » sa marque de commerce au Canada quand ses activités y sont limitées. La question qui se pose à répétition est de savoir dans quelle mesure on peut juger qu’une marque étrangère fait réellement l’objet d’un usage ici, par rapport à des types de services visant normalement le monde physique, lorsque l’interaction des Canadiens avec elle se limite, par exemple, à pouvoir consulter un site Web. À l’ère du Web, la question se pose de plus en plus.
À titre d’illustration, l’an dernier, le registraire des marques de commerce radiait l’enregistrement de la marque WALDORF-ASTORIA parce que non « employée » au Canada. L’enregistrement en question avait alors été radié sur la base du fait que la détentrice n’offrait pas réellement de « services hôteliers » au Canada, puisqu’elle n’y possédait ni n’y exploitait aucun hôtel. Comme l’enregistrement visait des services d’hébergement, le registraire avait alors conclu que le simple fait de permettre à des Canadiens de réserver de réels services (qui seraient consommés aux États-Unis, entendons-nous) ne s’avérait PAS suffisant. Cette décision a été portée en appel devant la Cour fédérale, laquelle n’a pas encore rendu sa décision.
En attendant, la Cour fédérale rendait il y a quelques jours une décision dans un autre dossier d’appel impliquant l’usage d’une marque au Canada par une société étrangère qui n’y est pas réellement présente. L’affaire en question concerne la marque DOLLAR GENERAL, qu’une société américaine utilise en association avec des services de vente au détail. Malgré une forte présence aux États-Unis, sa présence au Canada se limite essentiellement à l’exploitation du site Web, que les Canadiens peuvent eux aussi consulter.
La Cour fédérale vient rappeler qu’on peut considérer que la marque a été utilisée au Canada dès que des services (fussent-ils accessoires) sont rendus à des Canadiens. Selon elle, il n’est pas nécessaire d’avoir des magasins physiques au Canada pour être considéré comme rendant des services accessoires à la vente au détail. Qui plus est, on peut même considérer que des services de la sorte sont rendus malgré le fait de ne pas expédier de marchandise au Canada. Dans ce genre de cas, par contre, il faudra au minimum que le site Web (ou l’appli correspondante) inclut des fonctionnalités offrant un certain avantage ou bénéfice pour les internautes canadiens qui le consultent.
Ici, par exemple, on offrait aux consommateurs la possibilité d’utiliser le site Web et l’appli pour trouver les magasins les plus près, de l’information quant aux produits disponibles dans les magasins américains, des recettes et des coupons. Malgré la position du registraire à ce sujet, la Cour fédérale, elle, considère que ce genre de fonctionnalités accessoires d’un site Web (ou d’une appli) suffisent pour considérer que (juridiquement) la marque DOLLAR GENERAL a été utilisée en sol canadien par rapport à des services connexes à la vente au détail. Ainsi, l’offre des services accessoires s’avère suffisante (en droit) pour considérer que les services principaux ont été rendus en association avec la marque en question.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser (et à ce que semble croire le registraire), ne pas vendre aux Canadiens ne torpillera donc pas nécessairement le dossier d’une entreprise étrangère qui prétend utiliser sa marque au Canada. Si des Canadiens peuvent dériver un avantage de la consultation d’un site Web, on pourra considérer que cela emporte usage de la marque correspondante en association avec des services plus généraux.