On rapporte récemment une histoire judiciaire en Colombie-Britannique qui pose une question intéressante : les pièces de cryptomonnaie sont-elles un bien ?
La décision en question, Copytrack Pte Ltd. c. Wall, 2018 BCSC 1709 (CanLII), découle d’une erreur au moment de faire un transfert de jetons numériques. Copytrack Pte Ltd. (une société de Singapour), au lieu de transférer 530 jetons CPY (un type de jetons créé par elle) à un individu nommé Brian Wall, lui a plutôt transféré 530 pièces d’ETHER, une cryptomonnaie transigée sur le marché. Le problème pour Copytrack, c’est notamment que la valeur de ce qui est ainsi transféré oscille autour de 800 000 $, à savoir environ mille fois la valeur du transfert attendu par Wall. Question intéressante, alors : l’expéditeur peut-il récupérer les pièces d’ETHER transférées par erreur… et comment ?
Heureusement pour Copytrack, l’identité du destinataire est connue. Nous ne sommes donc pas dans une situation où même comprendre à qui on doit adresser une demande de remboursement doit être faite. Par contre, malheureusement pour l’entreprise, Wall allègue ne plus être en possession des pièces numériques en question, suite à l’équivalent d’un cambriolage informatique. En somme, la réponse de M. Wall aux demandes et procédures intentées par Copytrack : désolé, on m’a volé ce que vous m’aviez expédié, je n’y peux rien.
Copytrack se présente donc devant le tribunal de la province où réside Wall afin d’obtenir une ordonnance visant à lui permettre de tenter de retrouver les pièces d’Ether manquantes. En droit, la question de fond est de savoir si Copytrack peut prétendre qu’ici il y a une « conversion », à savoir une détention illicite de bien incompatible avec les droits du propriétaire et qui constitue un tord (« tort ») dont peut demander la réparation aux tribunaux en vertu de la common law. En somme : une pièce de cryptomonnaie Ether est-elle (juridiquement) un bien ?
Malheureusement pour nous, le demandeur tente initialement ici d’éviter la question qui nous intéresse (sans doute à dessein, compte tenu de la complexité de la question), en présumant que l’Ether peut se qualifier comme un bien. Le juge, lui, y voit cependant une question qui aurait mérité qu’on s’y arrête et il demande donc aux parties de s’y pencher. Une pièce d’Ether (purement intangible) est-elle juridiquement vraiment un bien ?
En réponse, Copytrack change son fusil d’épaule et souligne que, selon la jurisprudence, la common law ne limite pas la disponibilité du tort de conversion à des biens. Cette jurisprudence permettrait ce tort pour des intangibles tels : « funds, shares, customer lists, accounts receivable, crops and mineral interests ». À ce sujet, la requérante souligne que l’Ether possède les caractéristiques d’une chose qui peut faire l’objet d’une appropriation illicite, à savoir :
a) They are capable of being possessed, stored, transferred, lost and stolen;
b) They were, at the time the conversion and wrongful detention began, held in the Wall Wallet;
c) They are specifically identifiable and have been traced to five wallets in which they are currently being held; and
d) They can be used as a medium of exchange, a store of value, and a unit of account, like funds or currency.
Malgré cela, le juge ici se refuse à statuer sur la question à cause du contexte particulier de l’affaire (notamment le fait que Wall est désormais décédé), et rend une ordonnance nécessaire pour éviter un résultat injuste et déraisonnable. C’est-à-dire qu’il rend un jugement en équité. Sans statuer quant à la nature juridique d’une cryptomonnaie, le tribunal ordonne donc ce qui suit :
An order that Copytrack be entitled to trace and recover the 529.8273791 Ether Tokens received by Wall from Copytrack on 15 February 2018 in whatsoever hands those Ether Tokens may currently be held.
Puisque c’est d’une procédure sommaire qu’il s’agit, c’est le seul remède qu’obtient Copytrack, laquelle devra maintenant espérer qu’un tel jugement s’avère suffisant pour l’aider à retrouver l’Ether illégalement transféré. La question demeure donc ouverte à savoir si une cryptomonnaie s’avère correspondre en droit à une forme de propriété. La question se posera d’ailleurs sans aucun doute aussi en droit civil et même en droit criminel, quand on épinglera un « voleur » de cryptomonnaie au Canada. La question demeure entière.