La Cour fédérale rendait il y a quelques jours une décision touchant la nature de cette créature unique au droit canadien que sont les marques officielles. La décision en question est celle de Quality Program Services Inc. c. Canada (2018) C.F., dans laquelle le tribunal devait déterminer dans quelle mesure l’adoption d’une marque officielle par le gouvernement ontarien (ministère de l’Énergie) l’immunise contre une poursuite en contrefaçon de la marque de commerce enregistrée d’une société œuvrant dans le même secteur d’activités. En somme : une marque officielle peut-elle servir de bouclier comme le fait juridiquement une marque de commerce enregistrée ?
Ici, fait intéressant, l’Ontario a été chercher sa marque officielle APRÈS que l’entreprise Quality Program Services se soit plainte que la marque « emPOWERme » utilisée par le ministère de l’Énergie portait à confusion avec sa propre marque de commerce « EMPOWER ME ». Les deux marques sont évidemment tellement similaires qu’on ne peut sérieusement arguer l’absence de confusion probable si les produits/services s’avèrent connexes.
À tout événement, la question qui se posait ici était de savoir si, une fois qu’un organisme gouvernemental enregistre une marque officielle, il demeure possible de le poursuivre en contrefaçon.
Le tribunal s’accorde avec la jurisprudence selon laquelle tout organisme gouvernemental est libre d’opter pour les marques officielles de son choix et d’en obtenir l’enregistrement comme marques officielles, et ce, même si une entreprise a déjà adopté la même marque de commerce auparavant. Par contre, rien dans la Loi sur les marques de commerce (la « Loi ») n’interdit à une telle entreprise d’alors continuer à utiliser sa marque pour les types de produits et services qui faisaient déjà partie de sa gamme (tel que dit dans Canadian Olympic Association c. Konica Canada Inc., [1992] 1 F.C. 797 aux paras. 21-23 (C.A.)).
Qui plus est, rien dans la Loi n’affirme qu’une marque officielle immunise son détenteur à l’encontre des poursuites éventuelles pour contrefaçon de tiers. Bien qu’on puisse penser que la Loi l’indique implicitement, rien dans le texte de la Loi n’énonce une telle protection et rien dans la jurisprudence canadienne ne supporte non plus une telle idée. Les termes autorité publique et autorité administrative sont compris dans le mot « personne » tel qu’employé dans la Loi, ce qui signifie que rien ne s’oppose à l’idée de poursuivre une organisation gouvernementale comme n’importe quelle entreprise. Par conséquent, même une organisation de nature gouvernementale ne peut utiliser un nom ou une marque qui porte à confusion avec une marque de commerce préexistante au Canada sans s’exposer à une poursuite en contrefaçon. La détention d’un enregistrement de marque officielle ne change rien à ce sujet. Bref, non, le sous-alinéa 9(1)(n)(iii) de la Loi ne confère aucune défense à une autorité publique (ayant adopté un nom ou une marque) à l’encontre d’une action en contrefaçon de la marque de commerce d’un tiers.
Certes, obtenir une telle marque officielle bloque les autres utilisateurs éventuels d’adopter ou d’enregistrer des marques qui porteraient à confusion avec la marque officielle pour l’avenir, mais ceux qui le faisant déjà conservent leur exclusivité conférée par la Loi, incluant le droit de poursuivre tous les contre-faiseurs, même une autorité publique au besoin.