La saga de la défunte cryptomonnaie PlexCoin se poursuivait récemment par une décision du Tribunal administratif des marchés financiers (le « TAMF») qui vient confirmer les mesures prises contre les promoteurs l’an dernier. Comme on s’en souviendra, cette cryptomonnaie avait été lancée en 2017 (promettant des rendements faramineux aux investisseurs), avant d’être interrompue par les autorités québécoises et américaines, parce que ressemblant de trop près à un appel public à l’épargne.
Fait particulièrement intéressant pour nous, afin de confirmer la compétence de l’AMF sur l’affaire, la décision du TAMF tranche qu’en droit, l’émission d’une cryptomonnaie (un « ICO », dans le jargon) pourra parfois équivaloir à une vente de « valeurs mobilières » au même titre qu’un appel public à l’épargne (un « IPO ») par une société publique. Pas de doute, c’était bien le cas de PlexCoin, ce qui vient entacher toute l’opération.
Comme chacun le sait, la Loi sur les valeurs mobilières s’applique à toutes les formes d’investissement, y compris aux « contrats d’investissement » qu’on définit en gros comme ceux par lesquels une personne investit dans un projet, dans l’espoir d’un profit qu’on lui a fait miroiter, malgré des risques qu’elle ne peut pas contrôler et même si elle n’aura pas d’autre rôle dans le projet qu’y investir. Or, la preuve de l’AMF révèle que l’offre faite aux internautes (c.-à-d. au public) par les promoteurs de PlexCoin les invitait à investir dans l’achat d’une nouvelle prétendue « cryptomonnaie » qui permettrait un rendement du capital pouvant aller jusqu’à 1 354 %. La trame de faits impliquait donc des paiements par des inconnus non impliqués dans le projet PlexCoin (autrement que pour y investir), dans l’espoir de profits mirobolants qu’on annonçait – la définition s’appliquait donc à PlexCoin. En effet, vu sa nature centralisée (dans les mains des deux promoteurs), contrairement à une véritable cryptomonnaie comme Bitcoin, on peut considérer qu’il y avait ici une entreprise gérée et pilotée par un groupe d’individus qui tentait de tirer parti de la soif de profits de membres du public pour leur soutirer de l’argent. En un mot, on était tout à fait en présence d’une situation de fait comme celle que visent à éviter les lois en matière de valeurs mobilières.
En droit, il n’y avait pas de différence entre offrir/vendre des pièces de PlexCoin et offrir/vendre les actions d’une société qu’on espérait financer. Puisque cela a été fait à des étrangers (internautes), les promoteurs du projet se devaient de respecter les nombreux et lourds prérequis juridiques pour s’adonner à ce genre d’activités, ce qu’ils n’ont évidemment pas fait.
C’est donc confirmé, en droit québécois : oui, le fait pour quiconque d’émettre des pièces de cryptomonnaies (par un ICO) peut, en certaines circonstances, équivaloir à vendre des placements ou des investissements ou émettre des actions. La prudence s’avère donc de mise pour les promoteurs de cryptomonnaies.
Pour en revenir à la décision récente du TAMF, compte tenu de sa conclusion quant à la qualification à donner au PlexCoin et de la preuve ample au dossier, le tribunal vient aisément reconfirmer les ordonnances imposées en 2017 aux créateurs de PlexCoin, Dominic Lacroix, sa conjointe Sabrina Paradis-Royer et leurs entreprises (LEXCORPS, PLEXCOIN, DL INNOV INC. et GESTIO INC.), incluant l’interdiction de solliciter des investisseurs. Lacroix et sa conjointe doivent aussi fermer les sites Web utilisés pour promouvoir le PlexCoin. On reconfirme d’ailleurs le blocage d’actifs du couple, y compris des comptes bancaires.
Le couple d’entrepreneurs à la fibre morale fortement élastique est d’ailleurs loin de se sortir du pétrin, puisqu’en plus du dossier piloté par l’AMF, la SEC américaine s’est également intéressée au dossier, alléguant que le couple aurait empoché une quinzaine de millions de dollars grâce à son stratagème illicite.