Les médias traitaient récemment d’une poursuite ontarienne présentant une histoire de liberté d’expression à saveur de Web 2.0 et posant la question (contre-intuitive) suivante: un citoyen peut-il juridiquement se plaindre d’avoir été bloqué du compte Twitter d’un élu?
L’affaire en question est issue de la politique municipale d’Ottawa, alors que trois citoyens allèguent devant les tribunaux que le fait pour le maire de la ville, Jim Watson, d’avoir configuré son propre compte Twitter pour bloquer les leurs violerait leur droit à la liberté d’expression. Euh? Vraiment? Oui, vraiment.
On s’en souviendra, la fonction de blocage d’autrui sur Twitter permet à tout usager de minimiser ses contacts avec des usagers ciblés qu’il considère indésirables. Une fois bloqué, un tel indésirable peut continuer à utiliser la plateforme Twitter, mais est dès lors incapable de suivre les gazouillis du bloqueur, en plus de perdre la capacité de «taguer» le bloqueur ou de créer des réponses à ses gazouillis. Bref, le geste de blocage n’a d’effet que par rapport à la personne ainsi «protégée», l’usager visé pouvant continuer de s’exprimer à la face du monde par l’entremise de Twitter, sans autre contrainte. La fonction a évidemment été créée afin de permettre à tout usager de mettre un terme au harcèlement d’un autre, fonction qui semble a priori on ne peut plus inoffensive.
Quoi qu’il en soit, l’argument justifiant le recours devant les tribunaux de ces trois citoyens reposerait sur le fait qu’en bloquant leur compte, le maire a en fait posé un geste d’exclusion à l’égard de citoyens qu’on prive ainsi d’accès à l’«espace numérique public» que serait devenu le compte du politicien, à force d’usage par Watson dans le cadre de ses fonctions. Puisque M. Watson utilise son compte dans ses fonctions, ce compte serait en quelque sorte devenu partie de l’espace public auquel tout citoyen devrait avoir accès. En somme, on allègue ici que la pratique de blocage, dans une telle situation, équivaut au geste d’un représentant de l’État dont l’effet est de priver certains citoyens ainsi ciblés d’une participation suffisamment active à un forum de débat public. À ce sujet, mentionnons que le maire utilise à l’occasion son compte Twitter pour interagir avec certains citoyens, ce qui tend à donner un certain air de bien-fondé aux prétentions des trois citoyens en question, notamment quant au fait que ce compte constitue une partie de ce qui compose la vie civique de cet élu, incluant les échanges publics de celui-ci avec des citoyens. Pas si absurde finalement, à bien y réfléchir.
Le maire, quant à lui, adopterait pour l’instant la position que son compte Twitter est justement son propre compte (personnel), lequel n’entre pas à proprement parler dans la sphère de ce qui compose les communications liées à son poste.
Cette affaire illustre bien l’ampleur des défis que pose l’utilisation des réseaux sociaux en marge de fonctions publiques ou professionnelles, ainsi que des problèmes que cela nous pose souvent ensuite pour délimiter quelles règles devraient s’appliquer, peu importe l’endroit physique où l’on pouvait se trouver à tout moment de l’utilisation de tels outils de communication.
Loin d’être totalement nouveau, ce type d’argument aurait été utilisé avec succès aux États-Unis, alors que les médias rapportaient il y a quelques mois la conclusion d’un juge (quant à une trame de faits similaire) que le blocage des comptes Twitter de certains journalistes par le président Donald Trump était inconstitutionnel, puisque destiné à les exclure d’une partie du débat public.