La Cour suprême se penchait récemment sur la question de savoir si l’un des usagers d’un ordinateur commun peut juridiquement consentir à sa saisie et à son examen par les forces de l’ordre. Si la conjointe de fait d’un homme permet aux policiers d’examiner l’ordinateur du couple, le procureur de la Couronne pourra-t-il ensuite utiliser la preuve ainsi recueillie contre l’homme, par exemple à cause du contenu de l’ordinateur? La question se posait récemment dans l’affaire R. c. Reeves, 2018 SCC 56 (CanLII), quant à laquelle la Cour suprême rendait sa décision il y a quelques jours.
L’affaire en question implique des conjoints de fait dont l’un permet à un policier d’emporter l’ordinateur du foyer et d’en examiner le contenu à sa guise. En de telles circonstances, le droit doit-il considérer comme recevable la preuve qui découle d’une telle permission? Un tribunal ontarien en droit pénal avait répondu par la négative, ce que vient maintenant confirmer le plus haut tribunal du pays.
L’affaire dont il est ici question découle en partie de la séparation difficile d’un couple, suite à laquelle l’ex-conjointe remet essentiellement l’ordinateur familial aux policiers. Après avoir examiné attentivement l’ordinateur, les policiers y trouvent du contenu qui mène au dépôt d’accusations contre M. Reeves. Pour ce dernier, le fait que les policiers ont mis le grappin sur son ordinateur sans mandat de perquisition s’avère inacceptable en droit. Selon lui, la permission accordée par son ex-conjointe ne s’avérait pas pertinente, particulièrement pas dans un contexte d’accusations subséquentes à une infraction criminelle.
Au final, ce point de vue sera partagé par la Cour suprême, vu les attentes raisonnables qu’on peut présumer un individu avoir quant à un ordinateur qu’il possède, serait-ce en commun avec un tiers ou un(e) conjoint(e). Pour le tribunal, la saisie d’un ordinateur avec la simple permission d’un copropriétaire de l’objet ne saurait justifier un tel geste par les policiers, particulièrement dans le cas d’un ordinateur.
En effet, l’intérêt de saisir un ordinateur pour les forces de l’ordre (à des fins d’enquête) relèvera généralement plus des données qu’il contient que de l’objet lui-même. Comme chacun le sait, un ordinateur peut révéler certaines données connues, mais aussi de l’information quant à son utilisation passée qu’une personne moyenne peut très bien avoir ignoré toujours exister. Étant donné tout ce que peuvent révéler de telles données, dans le monde d’aujourd’hui, on devrait considérer que l’individu moyen a des attentes élevées relatives à la nature privée du contenu de son ordinateur. Toujours selon le tribunal, nos ordinateurs peuvent contenir nos détails et nos communications les plus privés et sont propices à révéler nos préférences, nos valeurs et nos propensions les plus privées. En de telles circonstances, l’État ne devrait pas généralement pouvoir y accéder sans avoir obtenu une ordonnance judiciaire pour saisir l’objet et l’inspecter afin d’en extraire les données. Ici, la saisie de l’ordinateur commun de M. Reeves et de son ex-conjointe, ainsi que son examen minutieux subséquent violaient son droit à la protection contre les perquisitions et les saisies abusives. C’est confirmé en 2018: la saisie et la perquisition sans mandat d’un ordinateur par les policiers seront généralement présumées abusives au Canada.