La Cour d’appel fédérale (ou « CAF ») rendait récemment une décision confirmant qu’au Canada, le texte d’une norme demeure protégé par le droit d’auteur, même lorsqu’il est intégré par référence dans un règlement gouvernemental. La décision dont il est ici question est celle de P.S. Knight Co. Ltd. c. Canadian Standards Association, décision rendue par la CAF le 7 décembre dernier.
L’Association canadienne de normalisation (ou « CSA ») est un organisme à but non lucratif dont le mandat est de créer et d’adopter des normes que pourront ensuite appliquer les entreprises s’adonnant aux types d’activités visées, notamment le Code canadien de l’électricité (le « Code ») dont CSA vend des exemplaires pour son financement.
L’affaire en question débute lorsque P.S. Knight Co. Ltd. (« Knight »), un éditeur concurrent de CSA dans le marché, déclare son intention d’offrir un produit concurrent à la version du Code publiée par CSA. CSA poursuit alors Knight en Cour fédérale, laquelle émet une ordonnance d’injonction et permet la saisie des exemplaires de la publication de Knight, en plus de lui ordonner de payer 100 000 $ à CSA en dommages préétablis. Devant une décision si diamétralement opposée à ce qu’elle connaît du droit américain, Knight interjette appel devant la CAF, d’où la décision qui nous intéresse aujourd’hui.
Malheureusement pour Knight, la CAF n’entend aucunement importer en droit canadien les règles américaines touchant les œuvres issues du gouvernement. Bien qu’aux États-Unis les publications gouvernementales cessent habituellement d’être protégées par le régime du droit d’auteur, la situation juridique au Canada est fort différente. Rien dans notre Loi sur le droit d’auteur ne s’oppose à ce qu’une œuvre intégrée par référence dans un règlement ne soit protégée par le droit d’auteur.
Knight tentait d’alléguer que bien que le droit canadien diffère du droit américain, notre droit comporte néanmoins des règles qui permettent généralement la reproduction du contenu des lois, règlements et décisions judiciaires. Knight citait notamment le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale (le « Décret »), lequel prévoit que :
« Toute personne peut, sans frais ni demande d’autorisation, reproduire les textes législatifs fédéraux, ainsi que leur codification, et les dispositifs et motifs des décisions des tribunaux judiciaires et administratifs de constitution fédérale, pourvu que soient prises les précautions voulues pour que les reproductions soient exactes et ne soient pas présentées comme version officielle. »
Malgré cet argument créatif, la CAF conclut que le Code, bien qu’on y fasse référence dans des lois et des règlements canadiens, ne peut être assimilé à un « texte législatif » comme tel. Ainsi, au sens du Décret, ainsi que d’autres lois provinciales du même type, le Code n’est qu’un accessoire aux règlements en matière d’électricité: il n’est pas le texte législatif lui-même.
Knight tente aussi sa chance avec un autre argument, avançant cette fois que la propriété intellectuelle du Code serait couverte par la prérogative de la Couronne, en vertu de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, lequel mentionne en passant « les droits ou privilèges de la Couronne ». La CAF rejette cependant aussi cet argument, faisant remarquer que le gouvernement n’a nullement exercé de contrôle sur la création du Code et qu’aucun gouvernement n’a tenté de s’approprier de telle prérogative ou de propriété. Cet argument de Knight doit donc être rejeté à son tour.
Finalement, la CAF écarte également l’argument de Knight voulant que des considérations d’ordre public et d’intérêt commun militent contre la protection continue de normes comme celles édictées par CSA. Au contraire, la CAF note que la société canadienne semble bénéficier de l’habileté de l’organisme de collaborer avec les divers ordres de gouvernement afin d’en venir à des normes au bénéfice de l’ensemble de la collectivité. Dans la mesure où le maintien des droits d’auteur de CSA quant au Code génère des revenus lui permettant de poursuivre sa mission d’édicter des normes, il est difficile de prétendre qu’il n’existe pas de raisons de refuser de la priver de ses droits d’auteur quant aux fruits de son travail.
Ce faisant, la CAF se refuse à intervenir à l’encontre de la décision de la Cour fédérale. Plus de doute possible: au Canada, les normes comme le Code demeurent protégées par le droit d’auteur, qu’on y fasse référence ou non dans des lois ou des règlements gouvernementaux.