Nos collègues chez Bereskin & Parr rapportaient il y a quelques jours qu’un dossier dans lequel ils sont impliqués a dernièrement mené à une décision intéressante de la Cour fédérale en matière de confusion de marque de commerce, dans le dossier de Mainstreet Equity Corp c. Canadian Mortgage Capital Corporation et al. La décision dont il est ici question est une décision interlocutoire du protonotaire Aalto dans un dossier de contrefaçon. Bien que ce soit une simple décision interlocutoire, elle s’avère néanmoins intéressante quant à un point particulier.
Le dossier dont il ici question débute il y a quelques années par la tentative de Canadian Mortgage Capital Corporation (« Capital ») d’enregistrer sa marque de commerce. Pendant le processus d’enregistrement, Mainstreet Equity Corp (« Mainstreet ») loge et remporte une opposition à l’encontre de la demande devant la Commission des oppositions de marques de commerce (la « Commission »).
Suite à sa victoire en opposition, Mainstreet intente une poursuite en contrefaçon contre Capital, en Cour fédérale, alléguant à nouveau que la marque utilisée par Capital viole celle de Mainstreet. Par la suite, en cours de dossier, Mainstreet tente de modifier sa réclamation afin d’y ajouter notamment des arguments basés sur les concepts de res judicata (la chose jugée) et d’estoppel. C’est au sujet de cette modification proposée de la réclamation que se prononçait, il y a quelques jours, le protonotaire de la Cour fédérale.
La raison qu’avait Mainstreet pour tenter d’invoquer les doctrines de res judicata et d’estoppel concernait l’échec de Capital dans le dossier d’opposition antérieur. Étant donné l’existence d’une décision rendue en bonne et due forme par la Commission qui statuait sur la question spécifique de la probabilité de confusion entre les marques en présence, ne devrait-on pas considérer la question réglée (jugée, même?), plutôt que d’obliger les parties à débattre à nouveau de la question? C’était essentiellement la question qui se présentait à la Cour fédérale, au stade interlocutoire du litige opposant Mainstreet et Capital.
Capital, elle, arguait qu’une partie (et surtout la Cour fédérale) n’est pas empêchée d’évaluer le risque de confusion entre deux marques, et ce, même si un dossier d’opposition en a déjà traité, peu importe son résultat. Selon Capital, peu importe que la Commission a déterminé qu’une marque X porte à confusion avec une marque Y, les parties demeurent libres d’arguer que ce n’est pas le cas devant les tribunaux, lesquels doivent (re)décider de la question en se basant sur les arguments et la preuve devant eux, sans égard à la décision préalable de la Commission. Capital fait d’ailleurs remarquer à ce sujet que la Cour d’appel fédérale s’était déjà prononcée sur la question.
Dans la décision récente de la fin janvier, la Cour fédérale se rend aux arguments de Capital, à savoir que la Cour d’appel fédérale a effectivement statué préalablement sur cette question, en rejetant un tel argument de res judicata, dans l’affaire Alticor Inc. c. Nutravite Pharmaceuticals Inc. (2005 FCA 269 (CanLII)).
Aussi, devant cette conclusion antérieure de la CAF (qu’une décision de confusion dans le contexte d’une opposition ne lie pas les tribunaux), on serait maintenant mal venu de permettre à Mainstreet de ramener de tels arguments dans le débat entre les parties en présence. Au passage, la Cour fédérale se prononce d’ailleurs aussi de la même façon quant à l’argument d’estoppel que voulait formuler Mainstreet, concluant que bien qu’Alticor ne mentionnait pas spécifiquement cette question, l’écarter s’avère simplement la conséquence logique de la règle quant à l’absence de res judicata dans un cas pareil.
Ce faisant, Mainstreet ne peut modifier sa réclamation contre Capital afin d’arguer que la res judicata et/ou l’estoppel réglaient la question de la confusion entre les deux marques en présence. La Cour fédérale se prononcera donc, en temps et lieu, sur le risque de confusion, comme dans n’importe quel litige.
C’est donc reconfirmé, une partie peut très bien perdre un dossier d’opposition sur la base du fait que les marques en présence ne portent pas à confusion l’une avec l’autre (ou inversement), mais néanmoins ensuite déposer une poursuite pour contrefaçon de sa marque devant les tribunaux. Rien, en droit, ne l’empêche. Les dossiers d’opposition sont une chose, les poursuites devant nos tribunaux une tout autre.