Bien que le droit continue d’intégrer les échanges en format numérique dans ce qui peut s’avérer significatif, une entreprise canadienne apprenait récemment qu’il y a un pas entre démontrer l’existence d’une entente suite à des échanges de courriels, d’une part, et pouvoir prouver la validité de clauses précises d’une entente expédiée par courriel, d’autre part. Quand on a simplement joint le contrat à un courriel, on ne peut pas présumer que tous les termes auront été imposés valablement à l’autre partie.
Bien que la décision en question provienne d’une autre province (Terre-Neuve-et-Labrador), l’affaire s’avère néanmoins intéressante comme illustration du danger de toujours présumer (comme le font plusieurs) que le courriel peut tout faire, y compris lier une autre partie.
La décision en question (Safety First Contracting (1995) Ltd v. Murphy) implique la poursuite d’une entreprise contre un ex-employé parti travailler pour un concurrent. Malheureusement pour l’employeur, le temps venu, il est impossible de retrouver ne serait-ce qu’une copie de l’entente qu’aurait prétendument signé l’employé lors de son embauche. L’entreprise se retranche alors sur le fait que les parties avaient échangé des courriels, notamment un auquel était joint le contrat d’emploi qu’on demandait à l’employé de signer. Pour l’entreprise, même si on est incapable de démontrer la signature du document par l’employé, en droit, on devrait considérer que l’employé en avait accepté les modalités, y compris une clause de non-concurrence. La question qui se posait donc ici était de savoir si on peut considérer une telle clause comme étant valablement imposée quand elle était insérée dans un document joint à un courriel.
Précisions ici que la preuve ne démontre pas que l’employé avait vu la pièce jointe, ni qu’il en a jamais pris connaissance. L’ex-employé niait d’ailleurs avoir jamais pris connaissance du contrat, disant qu’il avait lu le courriel et l’une des pièces jointes, mais pas la seconde, contenant l’entente. Dans ces circonstances, le tribunal (la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador) en vient à la conclusion qu’on ne peut juridiquement présumer que l’employé a pris connaissance d’une pièce jointe, ou même qu’il l’a nécessairement reçue, et encore moins qu’il y a consenti. La conclusion se serait peut-être avérée différente si l’employé avait avoué avoir vu le document ou si la preuve le démontrait, mais en l’absence d’une telle preuve, le simple fait de joindre un document à un courriel n’est pas suffisant pour conclure que l’employé avait nécessairement accepté les modalités du prétendu contrat.
L’affaire émane de l’extérieur du Québec, mais est néanmoins pertinente comme rappel du fait qu’en escamotant trop les formalités de conclusion d’un contrat, on risque fort d’aller trop loin et de se montrer incapable d’exercer des recours en vertu du contrat, le temps venu.
Morale de cette histoire : bien que le droit accepte de mieux en mieux la présence du courriel et son utilisation (notamment afin de créer des relations contractuelles), les entreprises devraient demeurer prudentes. Oui, le courriel s’avère utile et pratique, mais il peut difficilement parfaitement remplacer un véritable processus de conclusion d’entente, à moins de grande prudence dans la façon de ce faire. Eh oui, même à l’ère de l’Internet (et du courriel), l’échange de signes clairs et non ambigus d’expression du consentement éclairé des parties conserve son importance.
Certes, on peut concevoir les façons d’obtenir un consentement contractuel valable comme s’inscrivant dans un spectre, de la signature en personne sur papier au contrat par un clic. Cela dit, ce ne sont certainement pas toutes les façons électroniques d’échanger avec une autre partie qui permettront de prouver l’existence ou les modalités précises d’une entente, au besoin. Comme quoi, malgré la volonté du droit de s’éloigner du formalisme, il y a tout de même des minimums à respecter en matière d’expression de consentement. Oui, même en 2019.