La Cour supérieure établissait récemment que le registraire des entreprises du Québec (le « REQ ») n’a pas à rendre accessibles ses données dans un format qui en faciliterait l’interrogation par les citoyens ou les médias. La décision en question, rendue le 11 février dernier, Société Radio-Canada c. Registraire des entreprises (2019 QCCS 514), rejette la remise en question de la validité des modalités d’utilisation qu’impose le REQ aux usagers qui effectuent des recherches dans le Registre des entreprises du Québec (l’ancien CIDREQ), le registre gouvernemental en ligne qui répertorie les entreprises individuelles exploitées par les personnes physiques, les personnes morales, les sociétés et les fiducies qui exploitent une entreprise à caractère commercial au Québec (le « Registre »).
Comme chacun le sait, le Registre du REQ comporte une fiche sur chaque entreprise exploitée au Québec. Une fois qu’on accès à cette fiche, le Registre indique, par exemple, qui sont les actionnaires majoritaires, les administrateurs, les associés, les officiers, etc., incluant l’adresse de chaque personne. Les citoyens peuvent ainsi savoir, en cherchant dans le Registre, qui dirige telle ou telle entreprise, etc. C’est là l’un des buts principaux de l’existence du Registre : permettre à tous de comprendre qui se cache (officiellement) derrière les entreprises œuvrant au Québec.
Cela dit, malgré un moteur de recherche permettant de trouver telle ou telle entreprise dont on possède le nom (ou la raison sociale), on ne peut cependant pas effectuer n’importe quelle recherche grâce à la base de données du REQ. On ne peut pas, par exemple, interroger la base de données afin de trouver les entreprises dans lesquelles une personne donnée a des intérêts. À dessein, l’interface fournie par le REQ ne permet tout simplement pas ce genre de requête dans sa base de données.
Ce sont des membres des médias qui contestaient ici la légalité de la décision du REQ de contraindre le genre de recherche auxquelles on peut s’adonner grâce au Registre. Radio-Canada contestait ainsi devant les tribunaux la décision du REQ d’interdire aux usagers d’effectuer du regroupement d’information, notamment en fonction des noms de personnes. Les médias se plaignent notamment de ne pouvoir chercher les noms d’individus pour connaître toutes les entreprises avec lesquelles ceux-ci ont un lien. Pour Radio-Canada, une telle contrainte va à l’encontre du devoir du REQ de voir à disséminer le plus possible les renseignements touchant nos entreprises, dans un but de transparence de l’État et des entreprises auxquelles il permet de faire affaire au Québec.
Malheureusement pour Radio-Canada, le tribunal conclut ici que la limite qu’a sciemment placée le REQ sur ce qu’on peut effectuer comme recherche dans son Registre s’avère conforme aux devoirs du REQ. De telles restrictions aux fonctions de recherche existent pour une raison qui dépasse de beaucoup le bon vouloir du REQ. En fait, juridiquement, la C.S. souligne que, compte tenu des renseignements personnels imbriqués dans le Registre, l’article 24 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (la « LCCJTI ») oblige le REQ à mettre en œuvre des moyens technologiques appropriés afin de restreindre l’utilisation de fonctions de recherche trop avancées ou puissantes dans son Registre. Certes, permettre certaines recherches est approprié, compte tenu de la finalité pour laquelle le Registre a été créé et est exploité. Par contre, la présence de renseignements personnels dans le registre impose un certain devoir de retenue au REQ quant à ce qu’il rend public et à sa façon de le rendre public.
La Loi sur la publicité des entreprises (la « LPE »), refondue en 2010, exige l’immatriculation des entreprises exploitées au Québec, et cette immatriculation entraîne inévitablement l’inclusion de renseignements personnels dans le Registre. Au moment de la refonte de la LPE, le législateur avait considéré le problème soulevé ici et choisi de ne pas faire du registre du REQ un moteur de recherche dans lequel on pourrait farfouiller dans tous les sens et de toutes les façons comme on peut le faire è l’aide de Google, par exemple. Si le Registre ne permet pas le croisement de données en fonction du nom d’un individu, c’est à dessein. Les gens n’ont pas le choix de fournir les renseignements exigés par nos règles en matière d’entreprises; nous avons donc pris une décision collective de continuer à protéger au moins un peu ces renseignements, même une fois qu’ils sont versés dans le Registre. En conclusion, non, le REQ n’a pas à faire de son Registre un véritable moteur de recherche ni à remettre une copie des données à ceux qui en feraient la demande afin que ceux-ci puissent mettre une base de données bonifiées (permettant toutes les recherches et les croisements) en ligne. Juridiquement, la décision du REQ de protéger ses données tient la route, n’en déplaise aux médias.