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Gare aux dessins industriels communautaires non enregistrés

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Bien que la règle canadienne est claire qu’un dessin industriel devra généralement être enregistré pour s’avérer (juridiquement) pertinent, ce n’est pas le cas partout. Pour preuve, certaines juridictions permettent aux créateurs de dessins industriels de bénéficier de droits même en l’absence d’enregistrement, eh oui. Petit topo ce matin sur une curiosité en propriété intellectuelle qui peut être pertinente si jamais vous êtes confronté à une réclamation en matière de dessin industriel (un «D.I.»), particulièrement en provenance d’un pays européen.

Comme on s’en souviendra, un D.I. est une configuration d’un objet utilitaire (c.-à-d. on ne parle par d’art ici), auquel le concepteur a donné une forme ou une configuration particulière. Un «dessin» est généralement la version 2D, alors qu’en 3D on parlera généralement d’un «modèle». L’important, c’est que contrairement à une invention et à un brevet, le D.I. porte sur l’apparence surtout – rien de fonctionnel ici, à peu près une pure question de look, si vous préférez.

Même si on ne fait pas du droit touchant le régime des D.I. à longueur de journée, les praticiens canadiens sauront généralement qu’en la matière, ce qui s’avère souvent crucial, c’est l’enregistrement. Contrairement au droit d’auteur, le fait de créer un D.I. ne donne rien comme tel, en droit canadien. C’est l’enregistrement qui confère les droits de ce type au concepteur/détenteur, notamment le droit d’empêcher que des tiers copient son dessin en l’appliquant à des objets. Pour ce faire, comme chacun le sait, au Canada, un créateur de D.I. dispose d’un an de grâce à compter de sa divulgation de l’objet incarnant son D.I. au public (c.-à-d. quiconque) pour l’enregistrer auprès de l’Office de la propriété intellectuelle. Par la suite, pas d’enregistrement, pas de droits, du moins en tant que dessin industriel comme tel. En pratique, c’est peut-être là une partie de la raison pour laquelle on voit aussi peu de poursuites en contrefaçon de D.I. ici: ils demeurent souvent non enregistrés jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Cette mise en contexte effectuée, il est bon de savoir que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas partout pareil. En droit, chaque juridiction peut avoir ses particularités, un constat auquel la propriété intellectuelle ne fait certainement pas exception. En Europe, par exemple, le Règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires prévoit qu’un «dessin ou modèle communautaire non enregistré» peut s’avérer source de droit pour son créateur. En effet, ce règlement prévoit qu’un créateur bénéficie de droits lui permettant d’empêcher les tiers de copier son D.I. (non enregistré) pour «une période de trois ans à compter de la date à laquelle le dessin (…) a été divulgué au public pour la première fois au sein de la Communauté».

Résultat, contrairement à la situation au Canada, un créateur d’un tel dessin européen peut potentiellement faire une réclamation contre un tiers qui utiliserait ou reproduirait son dessin, et ce, même en l’absence d’un enregistrement de D.I. La durée d’un tel droit s’avère relativement limitée, mais peut néanmoins permettre de faire des réclamations qu’on aurait pu croire impossibles.

Si jamais vous voyez passer un dossier qui traite d’une réclamation en matière de dessin industriel et qui émane d’Europe, tenez à l’esprit cette curiosité. Bien que ce soit contre-intuitif pour un juriste canadien, force nous est de constater qu’à l’étranger, eh oui, un concepteur de tel dessin peut très bien disposer de droits par le fait même de sa création du dessin, un peu comme c’est le cas en matière de droit d’auteur.