Nouvelle décision cette semaine dans l’affaire Voltage, alors que la Cour fédérale rendait sa décision attendue relative aux frais à rembourser, en pratique, à un fournisseur de services Internet («FSI») qui doit consulter ses registres pour identifier l’usager sa cachant derrière telle ou telle adresse IP. La décision en question, Voltage Pictures v. Salna et al. (2019 FC 1047) vient finalement ordonner au requérant de payer la somme de 67,23$ à Rogers pour identifier des usagers à des moments précis.
Comme on s’en souviendra, la Cour suprême du Canada statuait il y a quelques mois qu’un FSI ne peut recevoir de dédommagement pour poser les gestes qui découlent du régime d’avis et avis en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, mais qu’il peut néanmoins l’être pour les gestes que lui ordonne de poser une ordonnance judiciaire de type Norwich rendue en 2016.
La C.S.C. renvoyait donc l’affaire en Cour fédérale, en demandant à celle-ci de statuer quant aux coûts précis que le requérant devrait payer à Rogers pour ses efforts visant à identifier un (ou des) usager(s) ayant prétendument contrefait des droits d’auteur. La question qui s’est alors posée était de savoir dans quelle mesure un FSI visé par une telle ordonnance pouvait exiger de recevoir un dédommagement. Bien que la Cour suprême ait confirmé que Rogers avait droit d’être dédommagée par le requérant pour ses efforts rendus nécessaires par l’ordonnance, la question demeurait cependant de savoir à quelle hauteur. La Cour suprême parlait de frais «raisonnables»… mais encore?
Le requérant ici alléguait qu’un montant raisonnable devrait osciller entre 3,00$ et 5,00$ par adresse. Rogers, elle, prétendait que le montant devrait être passablement plus élevé, compte tenu du temps requis pour accomplir la tâche visée en pratique, peut-être même sur la base d’un taux horaire de 100$ l’heure. Selon la preuve présentée par Rogers, son équipe doit effectuer une série d’opérations avant de pouvoir fournir le nom d’un usager, incluant cinq étapes distinctes. Selon elle, puisqu’il en faut 12 minutes pour effectuer une identification (incluant les 5 ou 6 étapes requises) et que l’ordonnance exigeait de révéler les usagers utilisant une adresse à 5 moments précis, la tâche visée impliquait donc une heure de travail. Pour Rogers, la compensation raisonnable se chiffrait donc à 100$, logiquement.
Malgré les prétentions de chacune des parties, en pratique, après avoir examiné la description précise du travail que l’identification d’un usager de Rogers impliquait chez elle, le juge Boswell de la Cour fédérale réitère que Rogers a droit d’être dédommagée pour le temps de ses employés (passé à faire autre chose que de se conformer au régime d’avis et d’avis de la LDA), mais selon un calcul qui doit être raisonnable. Dans les circonstances, le travail effectué par Rogers qui peut faire l’objet du dédommagement visait quatre types de tâches :
1. reviewing the order and identifying the relevant Rogers IP addresses; this step takes 1.65 minutes per time stamp;
2. logging the request to permit it to be tracked through the workflow process, and also to ensure that the screenshots and information generated and saved during the search can be found in the future if needed; this step takes 0.7 minutes per time stamp;
3. linking between the cable modem and the customer name and current address on file in Rogers’ billing system; this takes 19.4 minutes per time stamp; and
4. compiling all of the information into an Excel file; this step takes 1.3 minutes per time stamp.
C’est donc dire que chaque requête visant un moment précis a exigé 23 minutes de travail, à savoir près de deux heures au total, pour 5 analyses de ce type. Selon le juge, compte tenu de ce qui devait être fait et comparativement à d’autres FSI pour lesquels on a des données (par ex., Bell met 20 à 45 minutes par adresse IP), ce temps chez Rogers s’avère raisonnable. Reste alors à déterminer quel doit être le taux horaire applicable.
Selon le juge Boswell, un taux de 100$ l’heure pour le travail de Rogers s’avère exagéré, ce que le jugement de la C.S.C. ne l’empêche pas selon lui de remettre en question. La preuve démontre qu’il en coûte à Rogers environ 35$ l’heure (en salaires) pour son service responsable de l’identification des usagers. Aussit, le juge de la Cour fédérale a-t-il déterminé qu’un taux de 35$ l’heure est raisonnable pour les tâches dont il est ici question. Le juge rejette ici tous les autres coûts que Rogers proposait d’inclure. Selon le juge, c’est seulement le temps des employés qui s’avère pertinent.
Si on multiplie ce taux par environ 2 heures de travail (pour 5 moments précis), on parvient à un montant total de 67,23$. C’est donc ce que Voltage doit payer à Rogers pour l’identification requise par l’ordonnance de type Norwich dont il était question ici.
Ce jugement attendu par l’industrie commence à nous donner une idée de l’ampleur des frais que doivent payer les requérants utilisant une ordonnance de type Norwich, comme c’était ici le cas, pour forcer un FSI à identifier un (ou des) défendeur(s). Bien que cette décision n’établisse pas un réel barème quant aux frais de FSI, elle nous donne une bonne idée de l’ampleur des frais à rembourser aux FSI en pareilles circonstances. Bien que le montant dont il est ici question reste modeste, les auteurs et entreprises désireux de déposer de tels recours à l’avenir (particulièrement quant à des groupes d’usagers) feraient bien de prendre note du genre de montant dont il est question quant au travail à faire par un FSI pour identifier chaque usager.