Un tribunal américain bloquait récemment la demande d’un producteur de logiciels dont le logiciel était pourtant dorénavant utilisé par la marine américaine, sans qu’un contrat officiel soit en place. La raison de ce refus? Le producteur du logiciel avait permis à la marine américaine (la « Navy ») de commencer à utiliser et déployer son programme sans d’abord s’entendre précisément avec ce nouveau client quant à ce qu’on lui permettrait de faire exactement avec l’application.
La décision en question, Bitmanagement Software GMBH v. The United States, vient confirmer qu’en droit américain, même si une licence officielle n’a pas été conférée à un utilisateur de logiciel, il se peut que la productrice du logiciel soit éventuellement incapable de stopper l’usage de son logiciel, en particulier si elle a permis l’utilisation de son programme sans prendre soin de définir clairement quelles seraient les limites de l’utilisation que pourrait en faire cet usager/client.
L’histoire en question débute en 2006, quand la société Bitmanagement est approchée par la Navy, afin que cette dernière puisse utiliser l’application SPIDERS 3D comme environnement de réalité virtuelle quant à un système utilisé par la Navy. Sans doute enthousiaste à l’idée de décrocher un tel contrat, Bitmanagement a alors plusieurs échanges avec des représentants de la Navy, par l’entremise desquels elle fournit sa composante logicielle à plusieurs reprises, en donnant à penser que la Navy pourrait en faire essentiellement ce qu’elle voulait, notamment l’installer sur tous les postes qui en auraient besoin, etc. Bitmanagement se montre alors très ouverte à n’importe quel arrangement éventuel, sans que les parties mettent en place un véritable contrat entre elles.
Au final, les parties parviennent donc à une situation dans laquelle un usager d’envergure (la Navy) utilise l’application, mais sans pour autant que les parties se soient entendues exactement quant à ce qui serait permis ou quant à combien cela coûterait. À noter que tout au long des discussions, la Navy est toujours claire: son intention est d’installer l’application dans l’ensemble de son intranet (comportant 350 000 postes), selon une certaine formule de contrôle technique des licences en vigueur lui permettant une grande flexibilité. Malheureusement pour elle, en aucun temps Bitmanagement ne s’oppose à ce que propose de faire la Navy, lui livrant même une version modifiée de l’application jusqu’en 2012, suite à quoi la relation entre les parties se détériore graduellement.
En 2016, Bitmanagement intente une action contre la Navy, alléguant contrefaçon de son application, laquelle est désormais utilisée à grande échelle par la Navy, laquelle ne détient pas de licence officielle lui permettant d’employer cette application. Devant cette poursuite, la Navy adopte la position que, dans les faits, elle a été autorisée par Bitmanagement à utiliser l’application comme elle le fait. En gros : nous détenons l’équivalent d’une licence, suite à l’autorisation que vous nous avez donnée. Eh oui.
Au final, Bitmanagement se voit déboutée en cour parce que, bien que la Navy utilise et reproduise bien son application sans licence, elle le fait néanmoins d’une façon conforme à ce qui a été entendu, au fil du temps, entre les parties. Non seulement Bitmanagement savait-elle ce que la Navy entendait faire (et faisait), mais l’entreprise a sciemment encouragé et autorisé sa cliente, en l’autorisant à installer et à utiliser l’application comme elle l’a fait.
C’est donc confirmé, pour ceux qui en doutaient encore : si un détenteur de droits d’auteur quant à un élément (tel un programme informatique) permet à un tiers de le reproduire ou de l’utiliser, particulièrement sur une longue période après de nombreux échanges, il est très possible qu’on s’avère éventuellement incapable de faire marche arrière. À se montrer trop convivial et accommodante avec un gros client potentiel, Bitmanagement s’est essentiellement tiré dans le pied. Eh oui.
Au fond, je crois qu’on parviendrait sans doute à un résultat très similaire en droit canadien, soit basé sur un argument de tolérance et d’estoppel et/ou sur un argument lié à l’existence d’une licence implicite. Le piège qu’on voit ici à l’œuvre mérite donc l’attention de tout producteur de logiciels, canadien ou étranger. Si un client potentiel vous approche pour utiliser votre application, ne remettez pas la conclusion d’une entente officielle à une date ultérieure, sans y porter attention pendant des années. Cette décision nous donne donc un bon exemple de ce qu’il ne faut PAS faire quand on met un logiciel ou un programme en marché, y compris quand on est approché par un client potentiel aussi intéressant que le gouvernement ou l’armée. À se montrer trop gentil, on peut plus tard s’avérer incapable de revenir en arrière et de reprendre le contrôle sur son propre produit. Qu’on se le tienne pour dit!